samedi 22 novembre 2008

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HOMMAGE À UN GRAND RÉSISTANT

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Simon Mougnol

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En ces jours mémorables, il est normal que chaque fille et chaque fils du Cameroun, chaque homme ayant un cœur d’homme, se joignent à ceux dont la pensée se tourne vers Ruben Um Nyobè.

Um Nyobè était un fils dont la Nation camerounaise entière se félicite encore, parce qu’il avait réuni en lui les nobles dispositions qui font d’un homme un grand homme, d’un enthousiaste agitateur un visionnaire et bien plus, un leader charismatique. Disons surtout qu’il était un patriote, un politique réaliste.

C’est ce réalisme qui lui inspira l’idée de rompre avec la revendication à tout va qu’il pratiquait dans les écoles qu’il avait fréquentées et dans son lieu de travail : en s’engageant dans le syndicalisme et la politique, il prit le parti de l’efficacité en vue d’atteindre des buts précis. Par réalisme, il mit en marche l’instrument qu’il organisa pour ne pas manquer son objectif : le pouvoir, un pouvoir dont le seul souci serait le bien du peuple, sa libération d’un joug étranger. Par réalisme, il inventa les moyens de populariser son mouvement : l’UPC gagna des zones étendues du territoire national. Cela était en soi une performance immense, puisque les rassemblements en Afrique épousent toujours les contours de la tribu de leurs promoteurs.

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Grâce à son intelligence et son réalisme, il savait lire les discours du colonisateur et la marche de l’histoire : il put ainsi se rendre compte que le maître avait évolué et qu’il n’était plus question pour lui de refuser l’indépendance mais d’assurer en sa faveur l’après-indépendance ; en même temps qu’il affirmait sa décision de lâcher prise, il interdisait l’UPC, et Um comprit, avec cette tergiversation, à quel type d’indépendance allait accéder son pays. Les propos de Pierre Messmer qui affirma, dès son arrivée en tant que Haut-commisaire, être venu pour accorder l’indépendance et la réunification des 2 Camerouns, le confortèrent dans la conviction qu’une continuation de la mainmise malgré l’octroi de la souveraineté, une poudre aux yeux en somme, était bel et bien programmée.

Par réalisme aussi, il savait que son séjour dans le maquis l’éloignait de son objectif. Il n’eut plus qu’une idée en tête : sortir de sa clandestinité. L’occasion de sortir scintilla à ses yeux quand Mgr Thomas Mongo lui rendit visite, à plusieurs reprises, avec un message de P. Messmer qui voulait le rencontrer pour négocier.

Um s’en référa à ses compagnons de lutte disséminés dans l’administration : il leur apprit qu’il était prêt à se mettre sur les rangs afin de saboter de l’intérieur la machine. Ceux-ci l’obligèrent à étouffer son enthousiasme, à regagner la forêt et signalèrent dans le même temps à la haute hiérarchie les lieux où l’armée pouvait le cueillir.

N’était-ce pas suicidaire de continuer un combat inégal ? Lâchés par le Parti Communiste français, Um et ses combattants n’avaient pas d’armes pour affronter un adversaire surarmé ; son organisation ne disposait d’aucune logistique et sa milice mourait de faim, de maladie. Il n’y a pas de guerre sans effort de guerre et l’effort de guerre s’évalue en argent, le nerf, dit-on, de la guerre : l’UPC n’avait pas les moyens de se payer sa guerre. Ses miliciens ne comptaient que sur l’élan patriotique et la foi qui les entraînaient malgré la nuit, le jour et les intempéries, à travers sinistres marécages, flancs inaccessibles de pics et crêtes de collines escarpées, d’un bout à l’autre de l’opacité inhospitalière du ventre de la jungle.

La forfaiture et des calculs bassement politiciens tuèrent un rêve, le rêve d’un homme qui n’avait jamais caché ses ambitions de libérer les siens ; la duplicité le vendit à la tutelle qui le tua parce qu’elle n’avait rien à faire d’une personne avec laquelle les siens ne voulaient plus compter ; elle le fit d’ailleurs par arrogance (celle qui habite celui qui sait qu’il n’a pas de comptes à rendre) puisqu’on ne tue pas un homme qu’on peut capturer. Il faut d’ailleurs que le pays des libertés, des droits de l’homme, réponde un jour de ses actes et, singulièrement, de l’assassinat d’un homme atteint d’une balle dans le dos. Ruben Um Nyobè meurt parce que tout ce qu’il abominait (la goujaterie, la traîtrise, le culte du salut individuel, le manque de patriotisme, …), avait présidé à la décision d’appuyer sur une gâchette.

Il n’est jamais malvenu de tirer des leçons d’un échec. La génération actuelle doit prendre pour elle cette fibre patriotique qui lui manque tant : le Camerounais d’aujourd’hui doit se l’approprier comme un legs du MPODOL. Sachons qu’il l’aurait insufflée à tous leurs esprits s’il avait été aux affaires.

Le temps est vraiment venu de se pénétrer de cette noble fibre, tout en fuyant trahison et forfaiture, car elles servent les intérêts de celui qui asservit tout un peuple ; de retenir que le manque de patriotisme est la mauvaise herbe que Um Nyobè, le Mpodol, avait voulu extirper de tout compatriote, puisqu’il savait que la présence de cette zizanie chez un seul ressortissant servirait de terreau aux malheurs de toute la fratrie. Mais ce patriotisme, celui qui se dénote dans sa pensée et qu’incarnent son courage politique et son abnégation, est une qualité que l’on retrouvait déjà chez ses aînés, Rudolph Duala Manga Bell, Paul Martin Samba, … : ils s’opposèrent à la colonisation au prix de leurs têtes ; le Mpodol avait autour de lui des camarades brûlant de la même passion pour leur pays qui, eux aussi obstinément, ne voulurent pas ‘faire copain copain’ avec la tutelle française. Ils payèrent pour leur entêtement le prix ultime.

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En prenant pour soi cette leçon de réalisme qui peut aider à ne jamais perdre de vue la notion d’efficacité, de service à rendre à une communauté qu’à la suite du maître envahisseur de piètres politiciens égoïstes et veules meurtrissent, on donne un sens à la mort du Mpodol.

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Les gouvernants que le pays a connus depuis l’indépendance se sont tellement éloignés des idéaux de ce patriote qu’ils n’ont même plus le courage de prononcer son nom, ils ont d’ailleurs voulu l’effacer de la mémoire des enfants du Cameroun : aucun des vrais héros n’est cité dans l’histoire officielle ; quand il apparaît dans un manuel, c’est subrepticement en bout de ligne et en fin de page. Cela doit devenir un devoir pour chaque Camerounais, un noble exercice auquel chacun doit s’adonner, que de leur accorder une place dans le Panthéon que chaque enfant du pays porte dans son cœur.

Simon Mougnol

Dusseldorf, le 13 septembre 2008
Jour anniversaire de la mort de Ruben UM NYOBÈ,
assassiné le 13 septembre 1958.
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