Samuel Mbajum, écrivain, membre cofondateur du Club Novation Franco-Africaine, a créé il y a quelques années le site Afrique Debout. Dans ce texte publié en 2007, et que nous reproduisons dans son intégralité avec l'aimable autorisation de l'auteur, il expliquait les raisons qui l'ont décidé à créer son propre site. Depuis, les relations franco-africaines et le nécessaire travail de mémoire ont-ils évolué dans le bon sens ? A chacun d'en juger, en attendant que l'avenir apporte des réponses concrètes et indiscutables...
Dans ce texte, Samuel Mbajum évoque également le projet auquel il s'est attelé depuis plusieurs années : une recherche approfondie sur les tirailleurs sénégalais, libérateurs trop oubliés de la France pendant la Seconde Guerre mondiale...
Bonne lecture !
POURQUOI LE SITE www.afriquedebout.com
par
...........Samuel Mbajum
...........Samuel Mbajum
Un profond malaise gangrène actuellement, lentement mais sûrement, sans que les politiques français semblent vraiment s’en rendre compte, les relations entre la France et son ancien empire d’Afrique.
L’explosion de novembre 2005 dans certaines banlieues, qui n’ont a priori rien à voir avec cette question, constitue à cet égard une étape cruciale d’une situation qui, si on n’y prend suffisamment garde peut, à court terme, constituer un véritable champ de mines pour la France. On peut noter actuellement une montée effrénée de l’islamisme, tapi dans l’ombre, quand il n’agit pas quelques fois à visage découvert, prêt à utiliser ces « jeunes Français issus de la colonisation » (formule que je préfère à celle de « issus de l’immigration », source de tant d’écrits et autres déclarations imbéciles), qui se sentent, à tort ou à raison, rejetés par la République. Situation toujours hautement explosive s’il en est…
Dans le livre d’entretiens[1] que j’ai publié avec l’ancien Gouverneur de la France d’Outre-Mer Louis SANMARCO (95 ans) nous essayons de dégager la part de responsabilité des conditions soudaines et politiquement mal préparées dans lesquelles se sont opérées à partir de 1958 les indépendances des pays africains liés à la France. Car la responsabilité principale des malentendus actuels part de là, surtout qu’à partir de là rien ne fut fait pour expliquer à l’opinion française les conditions exactes dans lesquelles l’empire d’Afrique avait éclaté. A cet égard, la publication du livre d’Alain PEYREFITTE (« C’était de GAULLE ») aurait pu, aurait même dû (compte tenu de la densité des informations qu’il apportait sur cette période) avoir un retentissement certain et provoquer dans l’opinion un débat utile et purificateur. Or il n’en fut rien, alors que cet ouvrage faisait des révélations troublantes. Je suis convaincu que si tout avait été fait pour amener le grand public, aussi bien en France qu’en Afrique, à s’y intéresser vraiment, cela aurait probablement provoqué dans l’opinion, un débat direct et franc ; de part et d’autre on aurait pu transcender les motivations profondes qui avaient contraint ( ?) de GAULLE à pousser hors de l’empire français les pays africains au moment où, en votant « oui » au référendum constitutionnel de 1958, ils ne demandaient qu’à rester « français », en bénéficiant cependant de l’égalité des droits et des devoirs au sein de la République française une et indivisible…
J’ai eu la chance de rencontrer cet être exceptionnel qu’a été Louis SANMARCO qui, en servant l’Afrique avec ses tripes, a fait honneur à la France. Comme l’écrit à juste titre à son propos le Président Abdou DIOUF, qui nous a fait l’honneur de préfacer notre livre, « tout au long de sa carrière, il se fit le champion de la justice, de la tolérance et de la vérité envers les populations qu’il administra, pour l’honneur de la France et l’amour de l’Afrique. » Car, tout est là ! Sur le débat controversé des bienfaits de la colonisation, je me contenterai grosso modo de dire que la bonne ou la mauvaise perception de la colonisation par les peuples qui ont été colonisés se fait à travers le souvenir qu’ont laissé sur le terrain les représentants de cette colonisation. L’image effroyable qu’a laissée le général von TROTHA dans la colonie allemande du Sud-Ouest Africain où il avait massacré les Herreros n’a rien de comparable à celle laissée par son compatriote Theodor SEITZ dans la colonie allemande du Cameroun. Ce point fait partie de ceux sur lesquels je souhaite engager, avec ceux qui me feront l’honneur de visiter ce site, un débat franc, sincère, objectif et sans passion. Tout comme la question de la « repentance », que Christophe BARBIER et Eric MANDONNET ont qualifiée[2] de « levure du dernier mal français en date », avant d’ajouter : « Pour faire de son passé un patrimoine, la France quitte brutalement l’omerta pour le grand déballage, et la repentance sert de sas de décompression. » Très bien ! Mais alors, pourquoi y a-t-il eu et par qui a été entretenue cette omerta au départ ?
Dans un autre article intitulé « Colonisation : le mal de la repentance. » BARBIER et MANDONNET écrivaient aussi : « La gravité des événements des banlieues provient non pas de leur violence, mais de la nature du déchirement. « Nous vivons une crise d’identité, explique le député UMP Pierre LELLOUCHE. Nous sommes passés de la fracture sociale à la fracture nationale. » La France se croyait blonde aux yeux bleus ; elle se réveille noire et frisée, complète un de ses collègues. Et ça se voit dans le RER. » Evoquant l’émergence de la mémoire coloniale qui fait pendant à la théorie de ceux qui se refusent à toute repentance à propos de la colonisation, le regretté historien Claude LIAUZU[3] avait, dans un entretien avec Laetitia Van EECKHOUT[4], eu le mérite de recentrer ce débat dans le sens de l’apaisement, apaisement nécessaire, si la société veut mettre courageusement sur la table ses problèmes afférents à ces questions brûlantes pour en débattre sans a priori et sans passion. Ainsi, il estimait qu’il y a « un risque à occulter les crimes et le racisme inhérents au fait colonial. Ces dénis de l’histoire encouragent aujourd’hui ceux qui réactivent les réflexes nationalistes et confortent, par contrecoup, ceux qui prônent l’enfermement communautaire des groupes disqualifiés, ainsi interdits de passé. D’un côté, on a une histoire mensongère, celle de la colonisation positive, et, de l’autre, une histoire faussée, fondée sur le ressentiment : c’est extrêmement dangereux d’un côté comme de l’autre. » Et, sur la question de la repentance, sa réponse fusait, sans ambiguïté, comme un appel à la sagesse de tous : « Sans aller jusqu’à la repentance, il faut savoir dire la vérité, et la dire assez fortement pour que tout le monde l’entende. »
Mon intention en créant ce site est précisément d’apporter ma très modeste contribution à la recherche d’une part de cette vérité, à élargir ce débat. J’ai choisi pour cela une voie que certains jugeront peut-être surprenante : celle qui consiste à montrer qu’à bien y regarder, un lien indélébile unit la France à ses anciennes colonies d’Afrique, lien constitué par un pacte de sang qui a créé, n’en déplaise à ceux qui font tout pour occulter ce pan de notre histoire commune, une fraternité de sang entre nos peuples. C’est pour cette raison que je compte m’attacher principalement à montrer aux jeunes Français (Blacks, Blancs et Beurs, à qui on ne l’a jamais vraiment enseigné) la part de sacrifices consentis par ceux qu’on a appelés « les Tirailleurs Sénégalais » (nom générique attribué à tous les combattants d’Afrique Noire) au cours principalement des guerres de 14-18 et de 39-45 pour aider la France à sauvegarder sa liberté et son indépendance. Car, combien de Français (et d’Africains d’ailleurs) savent que, sur les 1038 Compagnons de la Libération (personnes physiques) il y avait des Noirs d’Afrique ? Combien savent-ils qu’il y a eu des combattants noirs dans la Résistance ? Qui connaît l’histoire du jeune Gabonais Georges DUKSON, membre des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) dans son quartier du 17e arrondissement de Paris ?…
Je ne veux pas m’étendre sur la douloureuse affaire du gel des pensions de ces anciens Tirailleurs Sénégalais, même si je ne peux l’occulter. Je voudrais simplement citer le témoignage plein d’amertume de l’un d’entre eux, qui résume à lui seul l’ensemble du malaise qui pollue les relations entre les peuples africains et français. Il a été publié le 25 août 2004 dans « Histoire et colonies », sous le titre « Ces Africains qui libérèrent la Provence, nommons-les… » Il s’agit du Sénégalais Issa SESSE (83 ans en 2004), qui débarqua à Saint-Tropez le 15 août 1944 à 4h du matin. Faisant abstraction de sa maigre pension, il estime surtout que « ce qui est malheureux c’est que les enfants n’ont pas le droit d’aller en France ; d’autres étrangers sont plus considérés que nos enfants avec leurs grands-parents qui ont fait la guerre se croyant français. » Il a également été marqué par l’ignorance des jeunes Français de ce qu’ont fait les Tirailleurs Sénégalais : « J’ai été à Paris, j’ai entendu les jeunes qui me voient avec les médailles et me demandent « pourquoi tu portes ça ? » Je leur explique et eux ils disent : « nous n’avons pas appris que des Tirailleurs Sénégalais ont fait la guerre en France », j’ai dit « comment, avec tous ceux tués en France ? » L’Afrique n’a pas compté dans la guerre…Heureusement, éclate-t-il de rire, tout le monde n’est pas mort. » Force est d’admettre que là réside un des drames de la France, qui n’a pas expliqué son histoire à sa jeunesse, ce qui entraîne malentendus et incompréhensions… Une situation qu’un débat franc et positif peut redresser. Je serais ravi d’y contribuer, avec tous ceux qui jugent cette situation anormale.
D’ores et déjà je remercie chaleureusement tous ceux qui, informés de mes intentions, encouragent et saluent mon initiative, au premier rang desquels les responsables du Mémorial Leclerc et d’autres organismes étroitement liés à l’histoire de la libération de la France ; des communes qui m’ont déjà communiqué des documents relatifs aux différents lieux de mémoire dédiés aux Tirailleurs Sénégalais (cimetières, monuments, stèles, dalles, plaques commémoratives…) ; des Anciens Combattants, des chercheurs et historiens qui ont répondu gentiment à mes demandes… Tous sont d’avis que ces Tirailleurs Sénégalais méritent qu’on leur rende l’hommage dont ils n’ont pas toujours bénéficié. C’est ce que nous essaierons de faire ensemble, si vous le voulez bien, si vous le souhaitez…
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Samuel MBAJUM
Officier de l’Ordre National du Mérite
Officier de l’Ordre National du Mérite